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Mais d’être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N’est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui[1].


Jugeant la vie et la mort comme Sénèque, Malherbe en parlera comme lui, c’est-à-dire avec les mêmes images. Rien n’est plus fréquent chez les moralistes que de comparer la vie à une traversée dont la mort est le terme ; le traducteur de Sénèque a eu l’occasion de rencontrer bien souvent cette comparaison : « nous laissons la vie derrière nous et comme à ceux qui sont en la mer

Les villes et les champs loin des yeux se reculent[2]


…et finalement commence à paroître cette fin générale de tout ce qu’il y a d’hommes au monde. Pensons-nous que ce soit un écueil, sots et malavisés que nous sommes ? C’est un port que nous devons quelquefois désirer[3] ». L’allégorie continue dans la suite de l’Épître, elle revient dans beaucoup d’autres ; elle est résumée dans la Consolation à Polybius : « In hoc tam procelloso et in omnes tempestates exposito mari navigantibus, nullus portus nisi mortis est ». La voici en vers, et adressée, non plus à Polybius, mais au président de Verdun :

Et les moins travaillés des injures du sort
Peuvent-ils pas justement dire
Qu’un homme dans la tombe est un navire au port ?[4]


C’est sous la forme d’une traversée, avec port et cor-

  1. Sénèque citait ici Virg., Énéide, III, 73 : Terræque urbesque recedunt.
  2. Malh., II, 536.
  3. I, 41.
  4. Malh., I, 271.