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vaille, est la philosophie, ou plus simplement la sagesse, qui proclame la vanité du monde et des occupations humaines au nom de certains principes qui se retrouvent chez Malherbe comme chez Sénèque.

La philosophie que la Renaissance a essayé de se faire voit généralement dans les événements la manifestation d’une force aveugle à laquelle nous ne pouvons rien changer. Cette idée, qui est, à des degrés divers, chez les écrivains français du XVIe siècle, a été développée dans leur esprit par Sénèque plus que par nul autre. C’est dans l’Épître 107 que Rabelais prenait le vers latin (traduit par Sénèque d’un vers grec de Cléanthe) qu’il montre « esquisitement insculpté en lettres latines » :

Ducunt volentem fata, nolentem trahunt[1].


C’est dans Sénèque que Montaigne et Malherbe trouvent ou retrouvent cette leçon, et elle deviendra si bien un lieu commun, que Corneille aura un succès d’actualité avec la fameuse tirade de Thésée qui est une protestation contre le fatalisme :

Quoi ! la nécessité des vertus et des vices
D’un astre impérieux doit suivre les caprices…[2]


« Astre impérieux », ou « Fortune » — comme on reprochait à Montaigne de dire trop souvent, — ou « destin », ou « les dieux », ou « volonté de Dieu » — suivant qu’on écrit dans le jargon mythologique ou dans la langue de tout le monde, — c’est toujours la force aveugle contre laquelle nous ne pouvons rien, et à laquelle il faut nous soumettre. C’est ce qu’enseignait

  1. Pantagruel, 5e livre, chap. XXXVI (éd. Marty-Laveaux, t. III, p. 143).
  2. Œdipe, III, 5.