Page:Counson - Malherbe et ses sources, 1904.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 31 —

comme le voudra un Normand du XIXe siècle, qu’on « trouve, à force de chercher, l’expression juste qui était la seule et qui est, en même temps, l’harmonieuse[1] ». L’inspiration est peut-être moins nécessaire encore que la réflexion, la méthode, le travail, la patience : « on doit arriver enfin, à force d’étude, de temps, de rage, de sacrifices de toute espèce, à faire bon[2] ». L’expression juste a une importance capitale, la forme doit être châtiée, chaque mot doit être pesé ; aussi Malherbe épluche chaque vers de Desportes pour « regratter un mot douteux au jugement », comme dit Régnier indigné, et Flaubert fait « des remarques de pion[3] » aux vers de Maupassant. Malherbe qui ne se lasse pas de refaire ses pièces, qui « est six ans à faire une ode », comme le lui reproche Berthelot, Corneille qui corrige et retravaille ses vers, ont déjà un peu de ce qui deviendra chez Flaubert, plus nerveux et plus fébrile, « les affres de la phrase, les supplices de l’assonance, les tortures de la période[4] ». « Il faut admirer, il faut vénérer cet homme de beaucoup de foi, qui dépouilla par un travail obstiné et par le zèle du beau ce que son esprit avait naturellement de lourd et de confus, qui sua lentement ses superbes livres et fit aux lettres le sacrifice méthodique de sa vie entière[5] » : c’est ainsi que M. Anatole France parle de Flaubert ; et cela ne rappelle-t-il pas singulièrement ce que Nisard

  1. Flaubert, Corresp., 4e s., p. 225.
  2. Ibid., 2e s., p. 203.
  3. Ibid., 4e s., p. 362. — Déjà Madame de la Fayette disait qu’« une période retranchée d’un ouvrage vaut un louis d’or, et un mot vingt sous ».
  4. Flaubert, Corresp., 3e s., p. 112.
  5. La vie littéraire, 2e s., p. 27.