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le satisfaire chez ses auteurs, chez Sénèque déjà, mais aussi dans l’Aminte même, et plus encore chez le Guarini[1]. Quand il recorrige ses vers, c’est généralement pour y introduire de pareils traits. C’est ainsi qu’il refait une des stances à du Périer — peut-être après avoir relu le Pastor Fido, dont l’édition de 1602 eut tant de succès :

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’âme d’un barbare
Ou n’en a du tout point[2].

C’est bien ce que Nicandre disait à Amaryllis :

Ben duro cor avrebbe, o non avrebbe
Pinttosto cor nè sentimento umano,
Chi non avesse del tuo mal pietate,
Misera ninfa[3]

Malherbe, suivant sa méthode, a transformé le mot d’un berger à une bergère en une vérité générale, et il ne s’agit plus d’Amaryllis et de son père, mais de « ce que nature a joint ». C’est par le même procédé qu’il fera ses vers les plus fameux quand, au lieu du nom de

  1. Non si fa l’inganno a cui l’inganno è caro (Pastor Fido, IV, v), et tous les vers qui suivent sont dans le même goût.
  2. Malherbe avait écrit d’abord ces vers qui paraphrasent la seconde partie du passage du Guarini :

    Mais, lorsque la blessure est en lieu si sensible,
    Il faut que de tout point
    L’homme cesse d’être homme et n’ait rien de possible
    S’il ne s’en émeut point.

    Malherbe aime ces formules de désespoir (I, p. 159, v. 16-18), qui remontent au moins à Virgile (Énéide, II, v. 6-8).

  3. Guarini, Pastor Fido, IV, v. Le sort d’Amaryllis, dans la même scène, fait songer à celui de la fille de du Périer :

    Cosi le nozze fai
    Della tua cara figlia ?
    Sposa il mattino, e vittima la sera.