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le même Traité : « Comme quelquefois un nomenclateur, si sa mémoire lui manque, a recours à l’impudence, et nomme comme il lui vient en la bouche ceux de qui il a oublié le nom ; aussi les poètes ne se pensent pas obligés à la vérité ; mais selon qu’ils sont contraints par la mesure du vers, ou flattés par la beauté de quelque parole, donnent à chacun le nom qui leur vient le plus à propos, et ne sont point blâmés d’avoir enrichi la matière de quelque chose de leur invention. L’un ne donne point la loi à l’autre[1] ». C’en était assez pour permettre à Malherbe d’accommoder librement les fictions reçues, en répondant aux critiques qu’« il n’apprêtoit pas les viandes pour les cuisiniers » : et cela ne l’empêchait pas de relever dans Desportes telle « fable nouvelle ». Pour combattre l’habitude des fictions, pour en combattre surtout le pédantisme, et pour dédaigner cette connaissance précise[2] et cette reproduction exacte de l’antiquité, dont la Pléiade faisait tant de cas, Malherbe n’avait qu’à se souvenir de Sénèque. De nos jours, quand M. Brunetière combat l’érudition, il trouve à citer Bossuet : Malherbe, sans citer Sénèque, n’avait qu’à répéter ce qu’il en avait retenu pour combattre non seulement le pédantisme, mais même le lyrisme et les poètes hellénisants, et pour demander à la poésie plus de raison, de bon sens, de

  1. Malh., II, p. 9 (De Benef., I, 3).
  2. Baïf (éd. Becq de Fouquière, p. 293) recommande déjà à Desportes « plus de sens et moins de savoir », et du temps de La Fontaine on demande encore à l’écrivain

    Qu’il cache son savoir et montre son esprit.

    (La Font., éd. Régnier, IX, 373)

    Malherbe préfère, comme Montaigne, une tête bien faite à une tête bien remplie ; l’expression « tête bien faite » se trouve dans la traduction de Sénèque (Malh., II, 361).