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citait un très long passage du grand et si ingénieux écrivain. Malherbe, sans citer son modèle, ne s’en inspirait pas moins : et bien des appréciations littéraires du Traité des Bienfaits et des Épîtres, non seulement auraient pu s’appliquer aux écrivains français du début du XVIIe siècle, mais encore représentent le jugement de Malherbe sur tous les écrivains en général, et sur ses contemporains et prédécesseurs en particulier. « Virgile ne prend quelquefois pas tant garde à la vérité qu’à la bienséance, et semble qu’il veuille qu’on le lise plutôt pour plaisir que pour apprendre à labourer. J’en laisserai assez d’autres exemples pour vous en donner un qu’aujourd’hui j’ai été forcé de condamner :

Quand la tiède saison met les plantes en sève,
On sème le sainfoin, et le mil, et la fève.


Voulez-vous voir si tout ce qu’il dit est véritable et si tout cela se doit semer en même saison ? nous sommes à la fin du mois de juin ; et cependant aujourd’hui j’ai vu cueillir des fèves et semer du mil[1]. » Voilà des reproches auxquels Malherbe devait s’associer de tout cœur — on sait par Régnier, par Berthelot et d’autres qu’il trouvait à « reprendre » en Virgile, — et voilà surtout à quel point de vue il se placera pour juger Desportes, Régnier, Ronsard et les autres. Il cherchera s’ils prennent garde à la vérité, il voudra voir si ce qu’ils disent est véritable, et il sera impitoyable pour les inexactitudes, pour les « mauvaises imaginations » et « imaginations bestiales «  de Desportes, pour les vers vides de sens qui ne sont que

  1. Trad. Malh., II, 671-672. C’est au point de vue de la vérité, ou de la vraisemblance, que se placeront tous les contempteurs de Virgile, jusqu’à Napoléon Ier (Correspondance, t. XXXI)