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Je pense, Messieurs, à cette simple fille d’Athènes dont la studieuse adolescence s’écoula près de son père, modeste professeur, dans le commerce intime des Lettres, des Sciences et de la Philosophie — et qu’un jour sa radieuse beauté éleva au rang suprême. Je pense à l’impératrice Eudoxie, épouse de Théodose II. Ce n’est pas dans le palais de Byzance que je la revois aux prises avec l’autoritaire belle-sœur qui, ayant déjà gouverné sous le nom de son frère, prétendait qu’il en fût ainsi jusqu’au bout. Ce n’est pas non plus à travers les étapes romanesques de l’incident qui détruisit la paix de son foyer conjugal. Vous connaissez l’anecdote. Vous vous rappelez comment le fruit merveilleux envoyé par l’empereur passa de mains en mains en une matinée et revint au donateur, dont cette odyssée excita la méfiance et, lui faisant soupçonner une trahison prochaine là où il n’y avait tout au plus qu’un flirt innocent, commença de le détacher de sa femme. Quel film exquis on tournerait avec les détails de cette aventure légère devenue si rapidement dramatique ! Le drame devait s’achever bien longtemps après dans le sombre décor de Jérusalem où Eudoxie délaissée et désenchantée s’était retirée pour vieillir et mourir. Sans doute y cherchait-elle les consolations de la religion sans avoir pourtant renoncé à celles que donne la culture de l’esprit, puisqu’elle a laissé entre autres ouvrages une sorte de poème lourd et désordonné, reflet des agitations de son âme, mais au travers duquel jaillissent des fulgurations qu’on a comparées à certains traits de Dante et de Shakespeare. Toutes ces circonstances ne sont point celles qui m’occupent. La scène qui s’évoque pour moi date de l’an 438. Alors l’impératrice, aux plus beaux jours de son règne, accomplissait un voyage à travers ses États. Reçue solennellement à Antioche, elle prononça devant le Sénat de la cité une harangue enflammée à la gloire de l’hellénisme. Que la voilà donc proche de nous et soudainement rendue au contact de nos activités contemporaines ! Peut-être cela se passait-il en une enceinte rappelant celle-ci ; et sûrement parmi les auditeurs plus d’un vieux sénateur se prit, en l’entendant prendre la parole, à condamner la souveraine impulsive qui manquait doublement aux usages, en rompant à la fois avec le hiératisme impérial et avec les traditions du gynécée. Mais j’imagine que bientôt la voix chaude et inspirée dispersa leurs scrupules et les rendit d’abord attentifs et puis enthousiastes… N’était-ce pas la vivante silhouette de l’hellénisme qui se dressait ainsi devant eux ?

Pour nous, Eudoxie parlant au Sénat d’Antioche incarne la trinité grecque — une en trois personnes : classique, byzantine, moderne. N’avais-je pas raison de vouloir saluer en la belle et savante princesse cet hellénisme impérissable dont elle savait exalter les mérites. Quinze siècles ont passé et le voici toujours jeune, à la lisière de destins nouveaux.

Dans ce livre, le chapitre que j’ai consacré à la Grèce antique se termine par ces lignes que je me permets de vous lire parce que j’y pressens comme un écho lointain de la harangue dont je viens de vous rappeler le souvenir : « En vérité, dans ce monde méditerranéen d’où la Grèce allait s’éclipser pour plusieurs siècles, tout était hellène, car le génie grec avait touché à tout et inventé ou façonné toutes choses. Dans tous les domaines, le sidéral et l’agricole, le gouvernemental et le pédagogique, le médical et l’artistique, le littéraire et le juridique c’étaient des Hellènes qui avaient perfectionné, innové, dirigé… Pythagore estimait que la figure de la sphère est la plus parfaite. On peut dire que l’Hellénisme avait progressé sphériquement, comme en ondes concentriques, à la fois vers la totalité des horizons — et toujours avec les mêmes rythmes combinés d’élan et de mesure, de savoir et d’intuition. »

Unissons-nous, Messieurs, autour de la sphère divine afin de l’entretenir et de la protéger, car le monde a encore besoin d’elle.

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