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Mais l’histoire est susceptible de faire plus encore pour la paix sociale. Du point de vue psychique (dont on parle de nos jours beaucoup plus qu’on y réfléchit), il convient de classer les enseignements en deux catégories, selon qu’ils sont ou non créateurs de modestie. Il en est que leur nature même isole en des locaux aux murailles étanches ; la lumière y tombe du plafond. Ceux-là présentent un danger pour la démocratie, parce que plus qu’aucun autre régime, elle a besoin de plein air et d’horizons ; une boussole sur une table ne lui suffit pas pour se conduire. Dans ces laboratoires, le spécialisme engendre volontiers d’innocentes vanités auxquelles n’échappe que l’esprit assez robuste pour se résister à soi-même.

Le type des enseignements de plein air, c’est évidemment celui de l’astronomie, science des abîmes qui nous rend pour ainsi dire tangible une chose pourtant incompréhensible : l’infini — et nous force à reconnaître de la sorte la limite de notre intelligence. La modestie qu’y engendre l’effroyable pesée des espaces est tempérée néanmoins par la juste fierté d’avoir su dénombrer des milliards d’astres, calculer leurs distances, relever leurs mouvements et pénétrer par le moyen de l’analyse spectrale une grande partie des secrets de la matière dont ils sont formés.

La modestie que provoque l’étude de l’histoire universelle est d’une nature différente. Pareille étude nous fait comprendre la lenteur du progrès, son incertitude et comment la seule façon de l’assurer est par la somme des labeurs accumulés. Quiconque s’instruit de l’ensemble de l’histoire doit aboutir à ces conclusions : que, premièrement, l’humanité chemine à tout petits pas vers le mieux ; — deuxièmement, que ce qu’elle obtient est d’une extrême fragilité et en danger de brisure ; — troisièmement, que la continuité et la coordination des efforts d’une génération à l’autre sont seules capables de le consolider. En fut-il toujours ainsi ? Cette continuité et cette coordination ont-elles toujours été les conditions expresses du progrès ? On ne saurait le prétendre. Il a fallu des chocs, des ébranlements, des destructions… moins par suite de l’imperfection des individus que par la situation inférieure où ils se trouvaient placés par rapport à la planète qui les régentait et que maintenant ils sont à même de régenter à leur tour. Ainsi me trouvé-je ramené à ce que je vous indiquais tout à l’heure comme le phénomène essentiel du temps présent : l’unification historique et géographique de nos connaissances ; à quoi va sans doute s’ajouter l’effet de la découverte qui renferme le plus de possibilités transformatrices : la libre circulation de la pensée à travers l’atmosphère.

Je ne m’attarderai pas davantage sur ces sujets dont il est évident qu’on ne saurait même esquisser les contours en une si brève communication. Mais je m’estimerais heureux si j’avais réussi à justifier auprès de vous l’axiome qui se trouve répété en tête de chacun de ces volumes parce qu’il en résume l’esprit et en précise la portée pratique : « Tout enseignement historique fragmentaire est rendu stérile par l’absence d’une connaissance préalable de l’ensemble des annales humaines : le principe des fausses proportions de temps et d’espace s’introduit ainsi dans l’esprit égarant l’homme d’étude aussi bien que l’homme politique. »


iv

J’aurais terminé s’il ne me restait à saluer, avant de me retirer, les maîtres de la maison. Mais ne vais-je pas manquer de respect à Minerve et à son illustre majordome Périclès en détourant d’eux mes hommages ? Ceux qui ont coutume d’aller faire leur prière sur l’Acropole s’interdisent d’agir autrement ; et combien de fois ne me suis-je pas conformé moi-même à la tradition sacrée. Or, c’est une autre figure qui, malgré tout, s’impose en ce moment à mon esprit, une figure effacée, oubliée, mais si attachante ; une de ces figures qui du rang secondaire où les tient l’histoire sont pourtant parmi les plus prestigieuses par la suggestivité qu’elles possèdent, par les effluves de vie qu’elles répandent autour d’elles.

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