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avancés qu’avant mais c’est plus fort qu’eux. Gens exclusifs, les patineurs font bande à part. Ils s’expliquent les uns aux autres pour quel motif absolument inattendu ils ont raté tantôt une figure très difficile qui leur est pourtant si familière !…

Bals costumés dans les hôtels. Une robe de chambre de Madame sert à Monsieur pour le transformer en pacha turc ou en nabab de fantaisie et Monsieur à son tour épingle artistement sur le dos de Madame aux fins de la rendre plus ou moins bohémienne une écharpe italienne achetée chez un boutiquier de l’endroit avec l’arrière-pensée d’en orner la cheminée de son fumoir. L’Anglais que voilà s’est simplement enveloppé d’un peignoir de bains croyant représenter ainsi une naïade mâle. La mère noble que voici a pensé donner beaucoup de style à sa robe de velours noir en l’agrémentant d’une fraise tuyautée où s’enferme son visage écarlate. Un grand monsieur sec et blond s’est fabriqué un costume de roi de carreau : deux découpures de calicot dont l’ajustage est sans prétentions lui composent une tunique où sont collés des carrés de toile rouge : un cercle de carton recouvert de papier doré forme sa couronne. Honni soit qui mal y pense ! Cet accoutrement lui suffira peut-être à conquérir la dame de cœur ! Et tous ces gens oxygénés à outrance par les journées passées dans la neige en contact avec la bise, étouffent sous ces vêtements inhabituels. Ils ont soif d’air et ouvrent les fenêtres de la salle de bal. Entre alors un courant glacial qui semble rendre plus grêles, s’il se peut, les ritournelles égrenées sans conviction par un orchestre en exil.

En haut, tout en haut, dans la région des cimes, il fait calme et pur. Les pics se détachent sur un azur intense et le contraste du soleil et de neige s’impose comme le symbole d’une nature irréelle. L’homme éprouve l’émotion d’une planète différente. Peu de skieurs ont poussé jusque-là ; de temps à autre deux sillons dont rien n’a contrarié le tracé indiquent le passage récent d’un être pensant. Mais on ne voit plus de ces espaces labourés, piétinés en tous sens, où la pauvre neige violée et durcie semble crier sa souffrance sous vos pas. Des bouquets