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mon successeur afin de lui faciliter sa tâche. Je ne pouvais consentir à rester ; trente ans constitue un terme qu’il ne serait pas sage de beaucoup dépasser. Et surtout je veux pouvoir consacrer le temps qui me reste à hâter dans la mesure où je le pourrai une urgente entreprise : l’avènement d’une pédagogie productrice de clarté mentale et de calme critique. À mon avis l’avenir de la civilisation ne repose en ce moment ni sur des bases politiques ni sur des bases économiques. Il dépend uniquement de l’orientation éducative qui va se dessiner. La question sociale elle-même ne saurait trouver de solution durable en dehors de ce domaine. C’est pourquoi la première nation ou la première caste qui donneront le signal sont assurées de prendre la tête de l’Europe nouvelle. L’enjeu vaut l’effort.

C’est la pédagogie présente qui par son erreur obstinée a égaré les générations actuelles dans l’impasse d’un spécialisme outrancier où celles-ci ne trouveront finalement qu’obscurité et désunion. Elles se croient très puissantes parce qu’elles ont beaucoup d’appétit et très savantes parce qu’elles disposent d’un grand nombre de données scientifiques. En réalité elles sont mal préparées pour les troubles qui viennent. La compréhension étouffée par le savoir, l’esprit critique abâtardi par l’amas de connaissance, l’adolescent formé à une mentalité de fourmilière, partout de l’artificiel et du convenu, des nomenclatures et des statistiques, le fétichisme des chiffres, une recherche maladive du détail et de l’exception… prenons garde en vérité que l’esprit européen énervé et halluciné ne finisse par provoquer lui-même quelque réaction asiatique pour laquelle il n’est point fait et qu’il supporterait mal.

L’Europe est riche d’une culture magnifique lentement amassée mais au travers de laquelle nul fil conducteur ne guide plus le privilégié de l’état social tandis que l’accès en reste simplement interdit au non-privilégié. L’heure est venue d’élever un édifice pédagogique dont l’architecture soit mieux appropriée aux besoins du jour.

Ce serait transgresser les limites imposées par le caractère de cette assemblée que de m’étendre davantage sur ce point. Sans doute ai-je déjà surpris sinon choqué quelques auditeurs en faisant montre de tendances révolutionnaires à un âge où d’ordinaire s’accentue l’instinct conservateur. Mais je devais