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triompher ses projets ; ce qui est sous-entendu, c’est l’accompagnement obligatoire de coups de pied et de coups de poing qui terminera immanquablement la réunion.

Quelques propriétaires du comté se réunissent également ; il s’agit du petit chemin de fer qui relie Tuam à Athenry et dont ils sont actionnaires ; un charmant railway, en vérité, et de mœurs si simples ! Les voitures sont comme le panthéon de Rome avec une ouverture circulaire dans le toit, faite, soi-disant, pour mettre une lampe ; mais à quoi bon, puisqu’il n’y a pas de tunnels ; alors il n’y a qu’une lampe pour toute la ligne ; elle orne le compartiment des actionnaires ; dans les autres, il pleut.

L’archevêque catholique daigne se déranger pour me montrer lui-même sa cathédrale et me conduire ensuite à un couvent « très curieux. » Nous sonnons à une petite porte derrière laquelle on entend le vacarme d’une récréation…, la porte s’ouvre ; ce sont des petites filles et les voilà toutes qui se prosternent dans la boue, le prélat est habitué à ce spectacle, mais, faute d’habitude, je me trouve gêné par ces actes d’adoration.

Autre histoire, à présent : voilà la supérieure qui s’imagine de faire chanter ses élèves, elle me conduit en haut dans les salles d’étude et commande un chœur en mi-bémol avec arpèges à la basse lequel m’est servi tout chaud ; c’est un cantique à la Sainte Vierge ; un motet vient ensuite, suivi d’une chanson irlandaise avec une ronde pour finir : tout un concert. Et la bonne sœur du coin de l’œil guette mes appréciations sur mon visage et s’effondre en remerciements quand je lui déclare avec conviction que dans toute la France, — oui, vraiment dans toute la France, — on ne trouverait pas de petites filles chantant aussi bien. Mais ce n’est pas tout ; il me faut encore inspecter les ardoises des petits marmots qui apprennent à lire, feuilleter les cahiers des plus grands et enfin consoler un infortuné auquel on veut faire trouver Paris sur une carte et qui, le cherchant obstinément en Amérique et ne le trouvant pas, s’est mis à pleurer.


III


Le spectacle d’une messe villageoise en Irlande est décidément de ceux qu’il ne faut pas manquer. L’église de *** est située sur une petite éminence entourée de vieux sapins au tronc déjà dégarni ; point de maison alentour que le presbytère. Les paroissiens s’en viennent de tous les bouts de l’horizon, quelques-uns ayant fait une longue trotte. Ils emplissent le temple de la porte à l’autel, les hommes d’un côté les femmes de l’autre, tous dans les postures les plus pittoresques les bras ouverts ou bien accroupis sur leurs talons en manière d’extase, ils marmottent des prières et font