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où va l’europe ?

iii

le précepteur se trompe

La guerre vint. Nous autres qui l’avons vue, ou vécue, nous dirons longtemps : La guerre. Il semble qu’il n’y en ait eu qu’une, la seule réelle, dont toutes les autres n’auraient été que de lointaines et pâles images. Et les arguments ne nous manquent pas pour établir que celle-là fut la plus longue, la plus terrible, la plus générale, la plus atroce… Doutons pourtant que cette façon de voir soit partagée par ceux qui regardent l’Europe de loin, même s’ils ont eux-mêmes participé au conflit. L’humanité a derrière elle un tel passé de batailles et de meurtres que la suppression violente de la vie lui apparaît comme un épisode normal de la vie même. L’histoire de l’Asie est un répertoire sans fin de guerres sanglantes, et nous apprenons maintenant que l’histoire intérieure de l’Afrique, pour s’être déroulée de façon beaucoup moins illustre, n’a pas été très différente ! En Amérique, il n’y a pas si longtemps qu’on s’est battu. La guerre de Sécession, la guerre du Paraguay, pour ne citer que les plus modernes, ont été de terribles déchirements… Il est vrai que la civilisation européenne s’efforçait, en paroles tout au moins, d’arriver à une ère de paix durable, mais ce n’est pas la contradiction entre les paroles et les faits, ce n’est pas l’explosion d’une lutte armée au centre de l’Europe qui ont atteint notre prestige, c’est la façon dont la lutte a été préparée, conduite et clôturée. Telle est la source du sentiment de désillusion et de méfiance qui, sous des formes et avec des modalités diverses, est né et va se développant en Asie, en Afrique et en Amérique.

Désillusion et méfiance. Pour les bien comprendre, il faut nous départir de notre qualité de myopes. Nous sommes là, penchés sur des événements au centre desquels nous étions placés. Les autres, du jugement de qui nous nous inquiétons en ce moment, sont des presbytes. Il nous faut donc neutraliser notre myopie, pour ainsi dire, et tâcher par réflexion de voir comme eux. À cette distance, la cathédrale de Reims et les Halles d’Ypres, les torpillages inhumains et même les camps