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la question sociale.

taines époques pourtant et dans certains pays, on dirait que la haine s’apaise et que les revendications se font moins brutales et moins entières. Cela se produit lorsque la richesse est fixée, lorsque ceux qui aident à gagner l’argent le voient dépenser sous leurs yeux et peuvent en quelque sorte en contrôler l’emploi. Le paysan attaché au sol, l’ouvrier occupé dans l’usine s’insurgent bien moins contre l’héritage qui transmet la propriété ou contre le patronat qui canalise les profits de l’industrie que contre l’espèce d’anonymat sous lequel s’opère la circulation de cette richesse obtenue par leurs efforts. Presque toutes les aristocraties du passé ont été tuées par l’absentéisme ; et, de nos jours, l’absentéisme est pire qu’il ne fut jamais ! Un autre germe de haine sociale, c’est l’agiotage sous ses formes multiples : il permet la formation rapide de la fortune sans que soit perceptible, pour la masse, le droit de posséder qui résulte à son sens d’une transmission légale ou d’un travail régulier. Ainsi s’est constituée une sorte de féodalité financière ; la société « porte de tout son poids sur un seul pilier : le pilier d’argent[1] ». « D’une part, écrit Léon xiii, traçant le tableau des infirmités sociales[2], d’une part, la toute-puissance dans l’opulence ; une fraction qui, maîtresse absolue de l’industrie et du commerce, détourne le cours des richesses et en fait affluer

    ce rêve d’avenir qui a dû troubler plus d’un cerveau : « La terre alors sera partagée entre tout le monde. On ne la divisera pas par des limites, on ne l’enfermera pas dans des murailles. Il n’y aura plus de mendiant ni de riche, de maître ni d’esclave, de petit ni de grand ; plus de roi, plus de chef ; tout appartiendra à tous (ii, 320). »

  1. E.-M. de Vogué, l’Heure présente (Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1892).
  2. Encyclique Rerum novarum.