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les premières années

les cœurs. « Pas un pouce de notre territoire ! pas une pierre de nos forteresses ! » avait dit Jules Favre, et cette fière réponse, chacun la redisait au fond de soi-même. Un grand courant de patriotisme avait passé sur la France, la solidifiant, comme dans les régions septentrionales, ces vastes étendues maintenues par leur immobilité à l’état liquide et qu’un souffle froid congèle en un instant. Ce fut une lutte héroïque. Tout ce que le sang gaulois contient de noble et généreuse ardeur se réveilla : il n’y eut plu qu’un seul drapeau ; les hommes d’âge, après les jeunes gens, s’enrôlèrent, la joie dans les yeux, heureux de se battre pour une cause si juste et si sainte ; et quand, enfin, la ruine fut consommée, quand Paris assiégé fut près de périr par la faim, quand il fallut mettre bas les armes et avouer la défaite, la France eût la consolation de pouvoir constater, comme au temps de François ier, que tout était perdu, « fors l’honneur » !

On ne s’était pas fait moins d’illusions en ce qui concernait l’attitude des puissances étrangères qu’en ce qui concernait la force de nos bataillons improvisés. L’Europe apprit avec satisfaction les premières victoires prussiennes ; notre conduite exubérante et folle avait mécontenté tous les gouvernements[1] ; la guerre d’Italie même avait laissé des rancunes au cœur des Italiens, et, dans le premier

  1. Les manifestations antifrançaises furent assez nombreuses. Il y eut, au cours de la guerre, des défaillances qui retentirent douloureusement au cœur de la nation, entre autres, la visite à Versailles du cardinal Ledochowski et l’inqualifiable message du général Grant, président des États-Unis, adressé au Sénat fédéral, et dans lequel il exaltait l’Empire allemand ; le président s’était oublié jusqu’à adresser à Versailles un télégramme de félicitations à l’empereur Guillaume, au lendemain de la proclamation de l’Empire.