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le triomphe de la république.

artistes, ses promenades à travers nos musées[1] n’eussent été suivies par le public qu’avec une sympathie bienveillante commandée par le caractère de la souveraine, par son deuil, ses sentiments bien connus et le souvenir de son noble époux. Mais on crut sentir qu’elle avait pour mission de chercher à effacer le passé et à engager l’avenir. Si Guillaume ii avait été bien inspiré en choisissant sa mère pour messagère de paix, il avait donné à son message une forme peut-être trop précise et trop pressante qui devait forcément réveiller des souvenirs douloureux, rouvrir des blessures mal fermées. L’occasion était si belle pour les professeurs de faux patriotisme et les entraîneurs de foule que pendant un long moment l’anxiété régna. L’imminence même du péril, la notion exacte que la moindre incartade déchaînerait la guerre et la crainte de l’effroyable responsabilité qui en résulterait pour eux, contint leur zèle. L’Impératrice quitta Paris sans encombres. Les artistes se crurent autorisés à reprendre leur parole et à décliner une invitation qui n’avait rien que de flatteur

    mais elle descendit à l’ambassade d’Allemagne, d’où le comte Münster expédia bientôt des invitations qui portaient la mention : « Pour avoir l’honneur de rencontrer Sa Majesté l’impératrice Frédéric. » L’incognito absolu, dès lors, était difficile à maintenir, et la visite de M. Carnot s’imposait. L’Impératrice le comprit, et, désireuse de faciliter toutes choses, elle fit dire au quai d’Orsay que, si le chef de l’État venait déposer sa carte chez elle le lendemain, il ne la rencontrerait point et qu’elle-même irait ensuite rendre visite à Mme Carnot. Le procédé était nouveau et aussi ingénieux qu’incorrect. Le protocole s’en formalisa-t-il, ou bien l’attitude des ex-boulangistes, de M. Deroulède et de ses adeptes, inspira-t-elle des craintes au gouvernement ? Toujours est-il qu’on préféra affecter de considérer l’incognito comme complet.

  1. L’ambassadeur d’Allemagne commit l’imprudence, en menant la souveraine visiter le palais de Versailles, de lui faire traverser le parc de Saint-Cloud, où subsistaient encore, à cette époque, les ruines incendiées du château. L’opinion, déjà nerveuse, en prit ombrage.