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changements importants se produisirent dans la constitution du royaume triunitaire. La Dalmatie en fut détachée par la conquête vénitienne ; occupée ensuite par les Français, elle fut en 1815 rendue à l’Autriche qui l’érigea en province impériale et la gouverna directement. D’autre part, des colonies serbes se créèrent en Slavonie, où, dès lors, naquirent des rivalités confessionnelles dont l’Empire fit son profit. Enfin, dans le comitat même d’Agram se constitua peu à peu un district noble doté de privilèges exorbitants, entièrement soumis à l’influence magyare et exerçant sur le reste de la noblesse croate une action nettement favorable à la politique hongroise. C’étaient là des éléments certains de trouble et de confusion. L’institution dite des « confins militaires » complétait l’état chaotique de la partie orientale de l’Empire. Les confins formaient une longue et étroite bande de terre qui allait de l’Adriatique aux frontières moldo-valaques et sur laquelle vivait une population composite dont le chiffre finit par atteindre un million. C’étaient des soldats appartenant à toutes les races de la monarchie et soumis à un régime à la fois communiste et militaire qui, s’il était favorable à leur entraînement professionnel, ne l’était certes pas à leur moralité. Ces guerriers laboureurs avaient été créés en 1550 en vue de défendre les lignes du Danube et de la Save contre les Turcs. Mais plus tard l’Autriche vit en eux des auxiliaires éventuels pour les luttes intestines qu’elle prévoyait.

Les théoriciens et les moralistes reprochent volontiers aux Magyars de n’avoir point émancipé tous ces peuples qui gravitaient dans leur orbite et de leur avoir, au contraire, imposé une domination qui dégénéra souvent en oppression et ils en accusent l’orgueil exalté et l’égoïsme irréductible dans lesquels ils croient voir les deux traits fondamentaux du caractère magyar. Outre que ce dernier point est sujet à controverse, on ne saurait s’étonner que la Hongrie n’ait point répandu autour d’elle les bienfaits d’une liberté qu’on lui refusait à elle-même. Historiquement forte, numériquement faible, il s’agissait pour elle de demeurer une grande puissance. Si pendant les 350 ans qu’a duré son struggle for life, elle s’était abandonnée un seul instant, c’en était fait de sa grandeur nationale. Sans doute cette politique avait son danger. On le vit bien en 1848 lorsque, attaquée en Transylvanie par les Roumains révoltés, au sud par les Serbes, à l’ouest par les Croates unis aux Impériaux, les Magyars durent faire front de tous les côtés à la fois. Malgré cela, leurs armes furent victorieuses et il fallut à François-Joseph l’appoint de 100,000 Russes pour que la fortune tournât de son côté. Aujourd’hui que la Hongrie achève de s’émanciper et de s’organiser, la sagesse politique qui l’a si longtemps soutenue lui commande d’améliorer la situation des peuples qui partagent ses destinées ; certains indices laissent supposer qu’elle en aperçoit la nécessité et que ses hommes d’État s’y préparent, mais il est évident que la tâche n’est point aisée.

Ce ne sont pas les souvenirs du passé qui la compliquent le plus ; à cet égard, le fossé n’est pas de ceux qui ne peuvent se combler. Rien ne servit aux Roumains, aux Serbes et aux Croates de prendre parti dans la querelle