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mère, l’impératrice Constance, il était l’héritier de ce royaume sicilien dont la dynastie s’était arrêtée à elle. Élevé tristement à Palerme sous la tutelle du pape Innocent III pour devenir le chevalier-servant de l’Église, ce prince italo-allemand ne fut ni dévot ni italien ni allemand. Il fut grec, arabe, français… et laïque. Tout cela, il est vrai, ses ancêtres maternels, les rois normands, l’avaient été avant lui. N’était-ce pas l’un d’eux qui avait dit à ses sujets musulmans cette jolie parole de souverain moderne : « Que chacun prie le Dieu qu’il adore. Celui qui a foi en son Dieu sentira la paix dans son cœur ». La tolérance sagement entendue engendre volontiers la prospérité. Sous le régime normand qui avait succédé en 1074 à deux siècles de domination arabe mal définie mais effective, tout avait prospéré en Sicile. L’île produisait du blé, des cotons, de merveilleuses soieries, du papier, des émaux, des bijoux. Les industries de luxe dont, plus tard, Venise, Gênes et Florence s’empareraient, y fleurissaient. Ses navires sillonnaient la mer. Elle était d’autre part comme le miroir où se concentrait toute l’activité intellectuelle du monde méditerranéen. Les savants et les poètes arabes y côtoyaient les penseurs, les artistes grecs et byzantins et aussi les troubadours et les romanciers français dont la vogue croissait sans cesse. C’est tout ce trésor de richesses matérielles et de données fécondes dont disposait Frédéric II et qu’il répandit sur l’Italie comme un semeur qui saisit le grain à pleines mains et le lance dans les sillons. Or il apporta à cette besogne ses qualités et ses défauts propres qui allaient précisément caractériser après lui les grands hommes de la Renaissance à savoir : la fougue du tempérament, des énergies personnelles capables de verser à chaque instant dans la violence et le sensualisme, une absolue indépendance d’esprit, une curiosité universelle et insatiable, des tendances encyclopédiques et cosmopolites marquées, enfin cette sorte d’aspiration et de foi au progrès qui se manifestait peut-être pour la première fois dans l’histoire de l’humanité et à laquelle celle-ci devait plus tard s’adonner avec une passion qui comporterait bien des déceptions.

Les Italiens suivirent avec un prodigieux intérêt la carrière agitée et finalement dramatique de Frédéric II. Il suscita parmi eux l’admiration ou l’indignation, l’attirance ou la répulsion mais nul ne sut rester indifférent. Vers ce même temps l’université de Paris dont la renommée s’étendait au loin distribuait un enseignement rigide basé sur le culte des spéculations abstraites. Cet enseignement comptait en Italie peu de disciples mais quelques maîtres et parmi eux l’illustre docteur Thomas d’Aquin. Après de