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une hauteur considérable, étouffant tous autres germes. Point d’arbres ; rien que de l’herbe sur des étendues sans fin. En conséquence une seule forme de travail est possible, le travail pastoral. Encore y faut-il la présence du cheval. Comme l’a fait observer Edmond Demolins, la steppe est essentiellement adaptée au cheval et c’est le cheval qui adapte la steppe à l’homme. Elle constitue un « gigantesque haras naturel ». On peut dire que c’est le cheval qui a réalisé l’unité des peuples nomades et a permis les invasions car, sans lui, la vie nomade est presque impraticable ; avec lui, elle s’impose.

Le travail pastoral présente certaines particularités qu’on ne saurait négliger de retenir. Il entraîne la communauté ; il est peu intense et non progressif ; il rend la prévoyance superflue et l’approvisionnement en stocks, incommode. Il suffit aux besoins ; le lait de jument est la base de l’alimentation des nomades de l’Asie centrale. Mais il ne comporte ni clientèle ni concurrence ; donc point d’engagements salariés et une poursuite très relative de la richesse puisque « nul n’a intérêt à s’approprier une partie du sol ». D’autre part, la facilité de dresser de nouvelles tentes à côté des anciennes rend aisée la vie en commun d’un grand nombre de ménages de la même famille. Chaque famille obligée de produire ce dont elle a besoin a par conséquent intérêt à retenir dans son sein le plus grand nombre de ses membres. Le père ou patriarche conserve près de lui ses fils mariés ou célibataires et celles des filles qui ne se marient pas dans le voisinage. Quand l’étendue ou la fertilité des pâturages n’est plus en rapport avec l’importance de la communauté, on scinde celle-ci par un essaim. Dans le nouveau groupement, l’autorité passe généralement à un ancien. Ainsi, pas de pouvoirs extérieurs à la communauté ; point d’individualisme ni d’esprit d’initiative.

Tel fut, au centre de l’Asie — et tel est encore dans une certaine mesure — cet immense réservoir des pasteurs nomades. En un semblable milieu et avec de pareilles conditions d’existence, le surpeuplement devait fatalement se produire et entraîner l’émigration et les invasions. Il en fut ainsi, en effet, dès l’origine des temps historiques. Or ces hauts plateaux, rudes et grandioses, communiquent par d’autres plateaux graduellement abaissés et dont la ligne continue traverse l’Asie du sud-ouest au nord-est, avec des plaines d’attirance : la Mandchourie et la Chine à l’est, le Turkestan et la Mésopotamie à l’ouest. La steppe s’y prolonge