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tous les chevaux et oiseaux qui se trouvent dans son château. Le prince, voyant dans une cage un moineau qui a l’air malade, le prend pour le caresser, et remarque qu’il a la tête traversée par une épingle. Le prince retire l’épingle, et le moineau devient une belle princesse, la fille du roi de Naples, que le magicien retient enchantée dans son château.

Tous les soirs, pendant l’absence du magicien, « le prince remettait l’épingle dans la tête de la princesse, et aussitôt elle redevenait moineau et passait la nuit dans sa cage ; et, chaque matin, il retirait l’épingle, et l’oiseau redevenait princesse. »

Le prince, grâce aux conseils de la jeune fille, réussit à faire périr le magicien, et il revient au palais de son père, amenant une belle fiancée.

Ce qui est à noter, — et ce qui fait voir, une fois de plus, combien les vieux conteurs avaient le sentiment instinctif de l’affinité qui existe entre tels et tels thèmes, — c’est qu’après cette première partie, où l’épingle magique rappelle jusqu’à un certain point les bâtons magiques de certaines variantes indiennes de la Captive, vient une seconde partie qui correspond exactement à la scène finale de tous les contes indiens où figure ce même thème de la Captive :

À peine arrivée avec son libérateur au palais du roi de France, la princesse est enlevée par le « Corps-sans-âme », un terrible géant. Aussi habile avec ce géant que les rânîs indiennes avec le râkshasa, elle trouve moyen de faire dire à ce Corps-sans-âme, « qui ne peut être tué comme les autres hommes », où « réside sa vie »[1].

La première partie du conte breton n’est nullement une reproduction pure et simple du thème de l’Épingle enchantée, mais une adaptation très ingénieuse (faite on ne saura probablement jamais ni où, ni quand). En général, dans les contes où figure l’épingle qui métamorphose, c’est une magicienne (au lieu du magicien du conte breton) qui, au moyen de l’épingle, change l’héroïne en

  1. Il est à remarquer que les deux parties du conte breton ne sont pas simplement juxtaposées ; une suture a été faite au moyen d’un thème bien connu, le thème de la Fiancée oubliée, fortement modifié. Dans ce thème, quand le héros revient à la maison paternelle avec sa fiancée et lui dit de l’attendre en dehors de la ville pour qu’il aille prévenir ses parents, la fiancée lui recommande de ne se laisser embrasser par personne ; sinon il l’oubliera et l’abandonnera (voir les remarques de notre conte de Lorraine, no 32, II, p. 27). Dans le conte breton, la fiancée fait au prince une recommandation semblable ; mais il ne s’agit pas ici d’oubli : si la défense est enfreinte, la fiancée sera immédiatement enlevée par le Corps-sans-âme. La modification du thème est-elle heureuse ? là n’est pas la question. Mais c’est un exemple de plus à enregistrer des combinaisons qui se font entre thèmes folkloriques, des greffes d’un thème sur l’autre.