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XLVI

M. de Chassiron, de l’Académie de la Rochelle, vient de publier des Réflexions sur le comique larmoyant[1]. On attaque dans cet ouvrage le genre de comédie introduit depuis quelques années par M. de La Chaussée. On appelle avec assez de justesse, ce me semble, ces nouvelles comédies des tragédies bourgeoises. Elles arrachent quelquefois des larmes au théâtre, mais on ne manque guère de les désavouer dans son cabinet. Un homme d’esprit a peint heureusement ces deux jugements dans des vers manuscrits qu’il m’a confiés :

La Chaussée eut pour prix de ses faibles ouvrages
Des applaudissements et jamais des suffrages.

Il est vrai qu’on mêle un peu de comique au tragique et au romanesque dont nos pièces modernes sont remplies ; mais ce comique produit peu d’effet ; l’abbé de Bernis a dit :

On ne rit plus, on sourit aujourd’hui,
Et nos plaisirs sont voisins de l’ennui.

La dissertation nouvelle est suivie, judicieusement pleine de logique, élégante même, mais froide, commune, monotone et, pour tout dire, ennuyeuse. Je crois qu’elle aurait eu plus de succès si elle avait été publiée avant la chute de l’École de la Jeunesse. Depuis ce revers, le comique larmoyant et son triste père sont dans un affreux décri. Piron s’est égayé à son ordinaire sur La Chaussée dans le couplet suivant, qui est sur l’air de Joconde :

Connaissez-vous sur l’Hélicon
CoL’une et l’autre Thalie ?
L’une est chaussée et l’autre non,
CoEt c’est la plus jolie ;

  1. Par M. D. C. Paris, 1749, in-12. Réimprimé dans le tome III du recueil des pièces de l’Académie de la Rochelle, 1763, in-8.