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XXXIV

Le goût de notre théâtre comique a changé cinq ou six fois en moins d’un siècle et demi. 1° Nos comédies n’étaient d’abord que des farces sans esprit, sans intrigue, sans dialogue, sans sel et sans décence. 2° Lorsque, vers le commencement du dernier siècle, nous commençâmes à sortir de la barbarie, nos auteurs se contentèrent de traduire les pièces espagnoles, toutes remplies d’incidents merveilleux, de changements de noms, d’aventures romanesques. 3° Molière créa parmi nous un genre nouveau, et le porta à sa perfection. Ses comédies sont écrites d’un style naturel ; nos mœurs y sont peintes d’après nature. Son dialogue est vif et aisé ; il n’eut d’autre successeur que Regnard. 4° Après la mort de ces deux grands hommes, il régna sur notre théâtre un comique bas, des mœurs indécentes, une diction négligée. Dancourt est celui des auteurs de ce genre qui acquit le plus de réputation. 5° On se lasse, dans ce pays-ci, des bonnes choses, et encore plus des mauvaises. On était descendu trop bas et on monta tout d’abord trop haut. Au comique de Dancourt succéda celui de Destouches et de La Chaussée, qu’on appelle le comique larmoyant. Ce sont des tragédies bourgeoises qui n’ont ni la majesté du cothurne ni l’enjoué du brodequin ; ces drames hermaphrodites paraissent déchoir de leur réputation. 6° Il s’introduit un nouveau genre qui est allégorique ; Boissy et Saint-Foix ont fait aimer cette manière en y répandant de l’esprit à pleines mains. Avec de l’esprit, vous le savez, on fait des Français tout ce qu’on veut, il paraît une comédie en un acte et en vers intitulée le Plaisir[1], qui est dans ce dernier genre et qui a occasionné ces réflexions.

Le Plaisir a été représenté avec quelque succès il y a plus

  1. Par l’abbé Marchadier. Paris 1748, in-12. Représentée pour la première fois le 3 août 1747.