Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profondément, mais si Racine étonne moins, il plait davantage.

— Vous connaissez la pièce que Voltaire a adressée à Mme de Pompadour ; voici une épigramme qu’on a faite contre lui à cette occasion[1] :


Dis-moi, stoïque téméraire.
Pourquoi tes vers audacieux
Osent dévoiler à nos yeux
Ce qui devrait être un mystère ?
Les amours des rois et des dieux
Ne sont pas faits pour le vulgaire ;
Et, lorsque dans le sanctuaire
On porte un regard curieux,
Respecter leurs goûts et se taire
Est ce qu’on peut faire de mieux.


XVI

Il faut amuser, en France comme partout ailleurs, un certain peuple qui n’est fait ni pour agir ni pour penser, auquel le moindre travail de l’esprit coûte, et dont l’oisiveté n’est occupée qu’à chercher un délassement aux plaisirs bruyants qui ne font qu’étourdir l’âme sans l’affecter. Cette espèce de gens n’est que trop commune. Leur parler de lire l’histoire pour connaître les hommes, ou d’approfondir les principes de la morale pour réformer leur cœur, c’est un langage qu’ils n’entendent pas. Les romans, voilà leur lecture favorite. Nos petits-maîtres et nos caillettes leur doivent tout le brillant de leurs conversations, toute la délicatesse de leurs sentiments, tout l’esprit qu’ils répandent dans un cercle.

L’abbé Prévost est, selon beaucoup de gens, le premier de nos romanciers : son style est pur et noble, sa manière est vive et intéressante, il est conmmunément dans la nature, et il connaît très-bien le cœur humain. Mais son crayon est triste et

  1. Attribué à Roy par Barbier (Journal, éd. Charpentier, iv, 281).