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Gustave Wasa eut un très-grand succès dans la nouveauté. Dès qu’elle eut été imprimée, elle fut envoyée à Londres où l’abbé Prévost faisait le Pour et le Contre, ouvrage périodique où il rendait compte des ouvrages nouveaux. Voici en quels termes, à peu près, il parla de Gustave :

« Nous venons de recevoir le Gustave Wasa de M. Piron. Sur la lecture de cette pièce, les Anglais ont conçu la plus haute idée des comédiens français : ce ne peut être en effet que la finesse de leur jeu qui a fait entendre tant de vers obscurs de Piron ; ce n’est que la douceur de leur jeu qui a pu faire supporter tant de vers durs de Piron ; ce n’est que la supériorité de leur jeu qui a pu faire regarder comme une tragédie un ouvrage où il y a assez d’incidents pour composer cinq volumes… On soupçonne, ajoutait le critique, les comédiens d’avoir fait imprimer cette pièce pour prouver à quel point ils pouvaient faire illusion au public. » L’abbé Prévost, étant de retour à Paris, souhaita d’être admis dans le cercle savant de Mme de Tencin, sœur du cardinal de ce nom. Il y trouva Piron la première fois qu’il y parut. La conversation tomba infailliblement sur Gustave ; l’abbé voulut soutenir sa critique. « Vous m’avez accusé, lui dit Piron, d’avoir pris dans vos Mémoires d’un homme de qualité la situation la plus intéressante de ma tragédie ; c’est vous, au contraire, qui l’avez prise dans l’abbé de Vertot, mon auteur. — Moi, lui répondit l’abbé Prévost, je ne l’ai jamais lu. — Hé ! qui diable vous a dit qu’on vous avait lu, vous ? lui répliqua vivement Piron. » Les rieurs ne furent pas pour l’abbé.

On avait fait présent à Piron d’un habit extrêmement riche qui lui procura plusieurs aventures. Le premier jour qu’il le mit, il soupa avec plusieurs de ses amis. Il était tard lorsqu’on se retira ; Piron logeait au delà des ponts et ses amis jugèrent à propos de le reconduire. Piron, qui n’était pas accoutumé à cette attention de leur part, les pria plusieurs fois de le quitter ; ne pouvant les y engager par ses prières : « Je vois bien, leur dit-il, en se déshabillant précipitamment, que votre politesse n’est que pour mon habit, eh bien, le voilà ! », le leur jette et s’enfuit à toutes jambes. Ses amis le ramassent et courent après lui. Les soldats du guet les arrêtent tous et les conduisent chez le commissaire. Piron, en chemise, paraît le plaignant et est interrogé le premier sur son nom, sa qualité, son état, etc. Il ne répond