Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

Lorsque cette embarcation partit pour venir nous joindre, nous étions au moins à une lieue et demie au large. Depuis assez long-temps le canot du commandant était venu prendre la remorque et occupait la tête de la ligne. La plus petite des embarcations, la pirogue, ne prit point la touline ; elle allait en tête de la petite division, probablement pour sonder.


    chaloupe revenait près de nous. Elle était remorquée par deux autres embarcations plus légères : nous renouvelons le serment de nous embarquer tous ou de rester tous. Il nous semblait que notre poids ferait couler la chaloupe.
    M. Espiau, qui la commandait, monte bientôt à bord de la frégate : il dit qu’il fera embarquer tout le monde. On commence par faire descendre deux femmes et un enfant ; les plus peureux se pressèrent ensuite : je m’embarquai immédiatement avant M. Espiau. Quelques hommes preférèrent de rester à bord du bâtiment échoué, plutôt, disaient-ils, que de couler avec la chaloupe (*). Effectivement, nous y étions entassés au nombre de quatre-vingt-dix ; aussi fûmes-nous obligés de jeter à la mer nos petits paquets, les seules choses qui nous restassent. Nous n’osions nous donner aucun mouvement, de peur de faire chavirer notre frêle embarcation.
    J’avais fait embarquer des bidons d’eau et grand nombre de bouteilles de vin ; j’avais tenu tout cela prêt d’avance. Les matelots cachèrent dans la chaloupe ce qui devait être pour tout le monde : ils burent tout dans la première nuit ; ce qui nous exposa dans la suite à mourir de soif. »
    (*) Mlle Chemot avait répété tant de fois à M. Brédif, son amant, qu’il n’était resté à bord de la Méduse que deux ou trois hommes, qu’il avait fini par le croire ; cependant il y en avait dix-sept.