Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

de corde à peine susceptible de supporter le poids d’un homme. Quelques-uns tombèrent à la mer et furent rattrappés : ce qu’il y a de surprenant, c’est que, dans ce tumulte, il n’y eut pas un seul accident grave.

Ceux qui connaissent la mer concevront que, malgré l’inquiétude qui devait nous agiter sur notre sort, nos cœurs en cet instant aient été accessibles à une douleur qui ne portait pas sur nous-mêmes. On sait quelle vive affection les marins éprouvent pour les vaisseaux qu’ils montent, et qui deviennent pour eux une seconde patrie. Ils leur imposent des noms de tendresse ; ils se réjouissent de leur gloire et s’affligent de leurs revers ; ainsi que l’a si bien remarqué l’élégant écrivain, M. Jay, qui, dans le Mercure du 22 novembre 1817, a rendu compte de la première édition de notre ouvrage, et à qui nous saisissons cette occasion de payer un juste tribut de notre reconnaissance pour avoir le premier appelé sur notre infortune les secours de la générosité nationale. C’est lui, en effet, et nous nous plaisons à en consacrer ici le souvenir, c’est lui qui a donné à la fois l’idée et l’exemple de cette souscription si noblement proposée, si noblement accueillie, et dans laquelle nous voyons toutes les classes de la société, et jusqu’au malheur même, s’empresser d’offrir des consolations à notre malheur, et réparer, par ces touchans témoignages de l’intérêt public, l’oubli et l’insensibilité de ceux dont nous avions droit