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RELATION


Cette sorte d’absence, cet oubli de tous les maux , est de peu de durée ; le découragement renaît, le besoin de subsistances est impérieux pour ceux, surtout qui ont peu travaillé. Naguère craignant d’être submergés, ils n’allaient au bord de l’eau que pour juger de son élévation ; en ce moment, privés de lumière, ils y vont en tâtonnant, dans l’espoir de trouver le corps de l’un de leurs camarades pour leur servir de nourriture lorsqu’ils seront à la dernière extrémité.

Mais l’eau infecte est le seul aliment qu’ils rapportent aux travailleurs dans des calottes [1] et dans une espèce de vase qu’ils nomment cohy [2] et que quelques-uns appellent plaisamment leur litre. Ceux-ci (les travailleurs) couverts de sueurs, promettent à Goffin de n’humecter que leurs lèvres, et ils épuisent jusqu’à la dernière goutte sans se désaltérer. « Nous avons bu, disent ils, le sang de ceux de nos amis qui ont péri au chargeage. »

D’autres perdent le jugement ; ils demandent le chemin pour retourner chez eux ; ils se plaignent de ce qu’on veut les faire mourir en les laissant sans lumière et sans nourriture. Ils veulent avoir de la salade et des choux ; ils donnent des preuves de folie , s’em-

  1. Forme de mauvais chapeau presque sans bords, dont les houilleurs se servent, et sur laquelle ils assujettissent une chandelle avec de la terre glaise.
  2. Cohy, vase qui servait à contenir les chandelles.