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RELATION

sort de leurs femmes, de leurs enfans, de leurs pères ; tous gémissent, se désespèrent et demandent à leur chef ce qu’ils vont devenir.

Ce brave, qui ne cessa jamais de les encourager, leur annonce qu’il y a des ressources à la cinquième montée ; il veut les y conduire, aucun ne se lève et ne répond ; ils jètent de nouveaux cris et semblent se refuser à entreprendre de nouveaux travaux. « Allons, s’écrie alors Goffin, puisque vous refusez « d’obéir » mourons ! » Il prend son fils dans ses bras ; ses plus fidèles amis l’environnent, ils se placent à ses côtés : « Ils veulent montrer à ceux qui trouveront leurs cadavres, qu’ils lui ont témoigné leur attachement jusqu’au dernier moment. » Ils s’embrassent réciproquement, ils adressent leurs vœux au Tout-Puissant. Mais, ô prodige de courage ! un être faible, un enfant, qui semble inspiré[1], se lève et leur dit à haute voix et d’un ton rassurant : « Vous faites comme les enfans ; suivez les ordres de mon père ! il faut travailler et prouver à ceux qui nous survivront que nous avons eu du courage jusqu’à la mort. Mon père ne vous a-t-il pas dit que Lambert Colson ne nous abandonnerait pas ? » Il fait un pas en avant, et tous, comme frappés d’une inspiration sou-

  1. Mathieu Goffin, digne fils du maître mineur, âgé de douze ans, et auquel on n’en donnerait pas dix. Il est d’une petite taille, et il a les os du tibia arqués comme la plus part des houilleurs qui ont commencé à travailler trop jeunes.