Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
416
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

chaque accusé détourne ses regards vers le passé, et il cherche dans quelques jours irréprochables, dans le souvenir de quelques services, dans le témoignage des siens, de quoi fléchir vos incertitudes et gagner votre justice. C’est un jeune homme vertueux jusque-là, et que la fougue des passions a entraîné ; c’est un guerrier honorable dans les combats, qui vous conjure de ne pas flétrir par un arrêt vingt ans de gloire ; c’est un père qui se présente à vous et vous fait implorer par la voix de sa nombreuse famille, et presque jamais vous ne demeurez insensibles ; vous ne vous défendrez pas de condescendance pour les erreurs et d’accommodement avec les faiblesses humaines, que j’invoquerai au nom de Corréard. Je ferai parler ce qu’il y a de plus puissant et de plus efficace sur les âmes nobles et belles, je veux dire l’infortune, et la plus grande de celles peut-être dont les annales des peuples nous aient laissé la mémoire ; car il me semble que vous devez éprouver, en jugeant cet homme, ce que je ressens moi-même en le défendant, une sorte d’intérêt douloureux et profond pour celui qui, long-temps abandonné au sein des mers sur un frêle radeau, entouré de victimes que la mort multipliait chaque jour, n’a survécu aux autres, et comme à lui-même, que par une protection visible de la Providence et par un miracle éclatant de sa bonté. Je respecte celui que la main de Dieu a épargné ; je me trouve heureux de lui prêter ma faible voix : seriez-vous les seuls hommes qui ne voudriez rien faire pour lui ? Rassurez-vous,