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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

perdus, rallia, et vint passer en poupe de la frégate. Elle reçut ordre d’imiter notre manœuvre, ce qu’elle fit à l’instant même.

Ce fut alors que la Méduse seule envoya un canot à terre pour en rapporter, comme on vient de le dire, des fruits et des filtres qui se fabriquent à Sainte-Croix. Ce ne sont que des espèces de mortiers faits de pierres volcaniques qu’on trouve dans le pays. On prit aussi quelques jarres en terre d’une assez belle grandeur, et en outre des vins précieux, des oranges, des citrons, des figues bananes et toutes sortes de légumes.

Cette petite expédition nous fit connaître un trait bien peu honorable pour le caractère de plusieurs marins français, et que l’inflexible vérité nous fait une loi de publier à leur honte. Il se trouvait encore alors à Sainte-Croix six malheureux Français, long-temps prisonniers de guerre, et qui, rendus à la liberté, n’avaient point encore rencontré, depuis plus de huit ans, de capitaine de leur nation qui eût voulu les prendre à son bord pour les rendre à leur patrie. Ainsi abandonnés et dénués de tout, ils n’avaient pour soutenir leur existence que ce que la pitié des Espagnols voulait bien leur accorder. Cette insensibilité, dans un assez bon nombre de marins, qui, depuis que ces pauvres délaissés attendent leur délivrance, ont relâché à Ténériffe, a été pour le bon et généreux gouverneur de Sainte-Croix, un sujet constant d’affliction et d’étonnement. Ce gouverneur crut enfin, lorsqu’il