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CHAPITRE XII.

échappé à tous les fléaux réunis contre eux sur l’affreux radeau.

« Vers quatre heures du soir, dit M. Corréard, que nous laissons ici parier lui-même, j’entendis les sons lugubres d’une musique guerrière sous les fenêtres de la pharmacie. Le coup fut terrible pour moi, non pas tant à cause qu’il m’avertissait du sort prochain qui m’était infailliblement destiné, mais parce que ce signal funèbre m’annonçait le moment de la séparation éternelle qui m’ôtait le compagnon de nos souffrances et l’ami que m’avait donné la société du malheur, lorsque je passai avec lui les momens les plus affreux de ma vie. À ce bruit, je m’enveloppai de mon drap de lit, et me traînai jusqu’au balcon de ma fenêtre pour lui faire mes derniers adieux et le conduire des yeux aussi loin qu’il me serait possible. Je ne sais quel effet mon apparition put produire ; mais, quand j’y pense moi-même aujourd’hui, je m’imagine qu’on dût croire que c’était un spectre qui faisait à un cadavre les honneurs du séjour des tombeaux.

« Quant à moi, malgré ma vive émotion, le sacrifice que j’avais fait de ma vie me permit de contempler et de suivre en détail le triste spectacle dont mes regards presque éteints se repaissaient. Je distinguai une foule d’esclaves empressés, qui avaient obtenu de leur maître la permission d’assister à la cérémonie. Un peloton de soldats anglais était placé en ligne ; après eux venaient deux lignes de soldats et de matelots français qui formaient la haie. Immédiatement après, quatre soldats