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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

se disait-il encore, mes parens, mes compatriotes adouciraient mes peines. Mais ici, sous un ciel brûlant, où tout m’est étranger, entouré de ces Africains endurcis par le spectacle habituel des maux qu’occasionne la traite des noirs, rien ne me soulage ; au contraire, la longueur des nuits, la continuité de mes souffrances, la vue de celles de mes compagnons d’in-


    ont consacré la mémoire. » Ah ! sans doute, le dévouement de Goffin fut sublime ; mais, d’ailleurs, Goffin n’était victime que d’un accident de la nature ; aucun sentiment d’honneur et de devoir ne l’avait précipité volontairement, comme quelques-uns des naufragés du radeau, dans un danger imminent, et que plusieurs d’entre eux auraient pu éviter. Goffin, n’accusant que le sort et ces lois physiques qui entourent l’homme, dans toutes les positions, de causes permanentes de destruction, n’avait point à défendre son âme de tout ce que peuvent offrir d’odieux et de terrible toutes les passions déchaînées du cœur humain ; la haine, la trahison, la vengeance, le désespoir, le fratricide, toutes les furies, enfin, ne promenaient pas autour de lui leurs spectres hideux et menaçans. Combien cette différence dans la nature de leurs souffrances comparées, n’en suppose-t-elle pas dans les âmes de ceux qui eurent à triompher de ces dernières ? et cependant quel contraste dans les résultats ! Goffin fut honoré et dût l’être : les naufragés du radeau, proscrits une première fois, semblent abandonnés sans retour. D’où vient donc cette fidélité du malheur à les persécuter ? Est-ce que quand la puissance a été une fois injuste, il n’est pour elle d’autre moyen d’effacer son injustice que d’y persister, d’autre secret pour réparer ses torts que de les aggraver ?