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CHAPITRE X.

quitté le camp du roi Zaïde, nos voyageurs se reposaient, comme c’est la coutume, pour laisser passer la plus forte chaleur du jour. Au moment du repas, le ministre qui portait les engagemens contractés entre le prince et les deux Français, tira de son grand gris-gris, ou porte-feuille, celui de M. Rogery, qui s’en empara et le mit en mille pièces ; aussitôt un des Maures s’élança sur lui, le saisit d’une main par le cou, le renversa parterre, et de l’autre, armée d’un poignard, voulut l’en percer. Fort heureusement que le prince, à la considération de M. Kummer, qu’il chérissait particulièrement, accorda la grâce de celui qui avait osé manquer si gravement à un de ses ministres. Mais pendant les quatre ou cinq jours du reste du voyage, on ne cessa de le tourmenter. Ils ne lui donnaient que le quart de ce qu’il lui fallait pour sa nourriture, au point que cet infortuné fut obligé plusieurs fois de ronger les os dont les Maures ne voulaient plus ; ils le forcèrent aussi à faire tout le chemin à pied : cette route fut assez longue. Nos voyageurs, à leur arrivée à Saint-Louis, l’évaluèrent à cent quarante lieues au moins, par les détours considérables que les Maures leur firent faire.

Le respectable M. Rogery, homme d’une probité rare, était agité par le souvenir de l’engagement qu’il avait contracté avec Muhammed dans un moment difficile, sachant trop bien ne pouvoir jamais le remplir. Il croyait son honneur compromis et lié étroitement par ce traité, quoiqu’il l’eût détruit. Ce souvenir et son impuissance de payer lui donnaient des attaques