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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

ses états. Sachant bien que cette qualité est celle que les peuples désirent toujours trouver dans ceux qui les gouvernent, il crut, avec raison, qu’il ne pourrait donner une plus haute idée de ses vertus, et se faire connaître d’une manière plus honorable, qu’en les convaincant qu’il en était le protecteur et le plus fidèle observateur. Pour le leur prouver, il leur raconta l’anecdote suivante.

« Deux princes mes sujets avaient une affaire en litige depuis long-temps ; ils résolurent, pour la terminer, de venir me prier de leur servir d’arbitre. Mais la décision que je leur donnai, quoiqu’elle me parût tout-à-fait raisonnable, ne fut goûtée ni de l’un ni de l’autre ; de manière qu’à la suite de mes propositions, il s’engagea une forte querelle entre les deux parties. Il s’ensuivit une provocation, et les deux princes sortirent de ma tente pour soumettre leur cause au sort des armes. En effet, l’affaire s’engagea en ma présence ; l’un d’eux, le plus petit, fut terrassé par son adversaire, qui le poignarda sur-le-champ : c’était mon ami. J’eus la douleur de le voir mourir, et malgré toute ma puissance, il me fut impossible, d’après nos lois, qui permettent le duel, et d’après le respect que j’ai pour elles, de tirer vengeance de la mort de ce prince que je chérissais. Jugez, d’après ce trait, combien je suis scrupuleux observateur des lois par lesquelles je régis mes états, et qui règlent les droits des princes, ainsi que ceux des citoyens et des esclaves. »

Le troisième ou le quatrième jour après qu’ils eurent