Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

brûler qu’un temps connu, mais quand pouront-ils étancher la soif qui les tourmente ? cette réflexion ajoutait à la douleur actuelle le supplice de l’inquiétude..

On marchait tristement. Le soir on atteignit trois collines de sable situées au bord de la mer et appelées les Mottes d’Angel. Quand l’Océan est calme, il dort près de leur pied ; quand il se courrouce, on craint qu’il ne les surmonte ; chaque flot qui se retire en entraîne quelque partie ; chaque flot qui vient menace de les emporter dans l’abîme. Le Maure lui-même ne passe jamais sans émotion entre ces dunes et la mer ; et il fallait qu’à peine échappée d’un naufrage, la caravane franchît ce périlleux défilé ! La terreur l’arrêta un instant ; mais bientôt on passa outre ; on ne tarda point à découvrir quelques cabanes, dont on s’approcha, non sans de grandes précautions. Elles étaient inhabitées ; l’on n’y trouva que des têtes et des pattes de sauterelles, en assez grande quantité pour autorisera croire que les Maures s’en nourissent quand ils habitent ces contrées à l’époque du passage de ces insectes.

Les cabanes servent de retraite aux Maures, qui viennent pêcher dans ces parages ; elles étaient incommodes et malpropres ; on devait craindre le retour des barbares ; cependant aucune considération ne put empêcher les malheureux voyageurs de profiter du premier abri qu’ils eussent trouvé pour se reposer un instant. Si l’on n’avait ni bu, ni mangé de toute la journée, depuis trois jours on n’avait pas fermé l’œil ;