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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

qu’enfin la confiance est le seul moyen de salut.

« La peur fait que tout le monde nous suit. Nous trouvons dans le camp, de l’eau, du lait de chameau et du poisson sec ou plutôt pourri. Quoique tout cela coûtât l’impossible, nous étions trop heureux de le trouver. J’achetai pour 10 francs un de ces poissons qui puait horriblement. Je l’enveloppai du seul mouchoir que j’avais, pour l’emporter avec moi. Nous n’étions pas sûrs de trouver toujours si bonne auberge sur la route.

« Nous nous couchons dans notre lit accoutumé, c’est-à-dire étendus sur le sable. On se reposa jusqu’à minuit. On prit quelques ânes pour la famille Picard et pour quelques hommes que la fatigue avait mis hors d’état d’aller plus loin.

« J’ai remarqué que les hommes les plus épuisés de lassitude étaient précisément ceux qui paraissaient les plus robustes. À leur figure et à leur force apparente, on les aurait crus infatigables : mais la force morale leur manquait ; celle-là seule soutient. Pour moi je fus étonné de supporter aussi bien tant de fatigues et de privations. Je souffrais, mais avec courage. Mon estomac, à ma grande satisfaction, ne souffrait point du tout. J’ai tout supporté de la même manière jusqu’à la fin.

« Le sommeil seul, mais le plus accablant des sommeils pensa causer ma perte. C’était à deux ou trois heures du matin qu’il s’emparait de moi ; je dormais en marchent. Aussitôt qu’on criait alte, je me laissais