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CHAPITRE VIII.

une heure de marche, M. Picard demande qu’on s’arrête : son ton est celui d’un homme qui ne veut pas être refusé ; on y consent, quoique le moindre retard puisse compromettre la sûreté de tous. Nous nous étendons sur le sable ; nous dormons jusqu’à trois heures du matin.

« Nous nous remîmes aussitôt en route. Nous étions au 9 juillet. Nous suivons toujours le bord de la mer ; le sable mouillé permet une marche plus facile ; on se repose toutes les demi-heures à cause des dames.

« Sur les huit heures du matin, nous entrons un peu dans les terres pour reconnaître quelques Maures qui s’étaient montrés. Nous rencontrons deux ou trois misérables tentes où étaient quelques Mauresses presque toutes nues : elles étaient aussi affreuses et aussi laides que les sables qu’elles habitaient. Elles vinrent à notre secours, nous offrant de l’eau, du lait de chèvre, et du millet, leur seule nourriture. Elles nous eussent paru belles, si c’eût été pour le plaisir de nous obliger. Mais ces êtres rapaces voulaient que nous leur donnassions tout ce que nous avions. Les marins, chargés de nos dépouilles, étaient plus heureux que nous autres : un mouchoir leur valait un verre d’eau ou de lait, ou une poignée de mil. Ils avaient plus d’argent que nous ; et donnaient des pièces de cinq ou dix francs pour des choses pour lesquelles nous offrions vingt sols. Au reste, ces Mauresses ne connaissaient pas la valeur de l’argent, et livraient plus à celui qui leur donnait deux ou trois petites pièces de dix sols qu’à celui qui leur