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CHAPITRE VII.

se mettre en panne tribord à nous, à demi-portée de pistolet. L’équipage rangé sur le bastingage et dans les haubans, nous annonçait en agitant les mains et les chapeaux, le plaisir qu’il ressentait de venir au secours de leurs malheureux compatriotes. On mit de suite une embarcation à la mer ; un officier du brick, nommé M. Lemaigre s’y était embarqué pour avoir le plaisir de nous enlever lui-même de dessus notre fatale machine. Cet officier plein d’humanité et de zèle s’acquitta de sa mission d’une manière touchante, et prit lui-même les plus malades pour les transporter dans son canot. Après que tous les autres furent embarqués, M. Lemaigre revint encore lui-même prendre dans ses bras M. Corréard, comme étant le plus malade et le plus écorché ; il le plaça à côté de lui, dans son embarcation, lui prodigua tous les soins imaginables et lui adressa les discours les plus consolans. En peu de temps nous fûmes tous transportés à bord du brick l’Argus, où nous rencontrâmes le lieutenant en pied de la frégate et quelques autres naufragés. L’attendrissement était peint sur tous les visages ; la pitié arrachait des larmes à tous ceux qui portaient leurs regards sur nous. Qu’on se figure quinze infortunés presque nus, le corps et la figure flétris de coups de soleil. Dix des quinze pouvaient à peine se mouvoir ; nos membres étaient dépourvus d’épiderme ; une profonde altération était peinte dans tous nos traits ; nos yeux caves et presque farouches, nos longues barbes nous donnaient encore un air plus hi-