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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

eût il mis la tête au-dehors, qu’il revint à nous en poussant un grand cri. La joie était peinte sur son visage ; ses mains étaient étendues vers la mer ; il respirait à peine. Tout ce qu’il put dire, ce fut : Sauvés ! voilà le brick qui est sur nous ! et il était en effet tout au plus à une demi-lieue, ayant toutes ses voiles dehors et gouvernant à venir passer extrêmement près de nous. Nous sortîmes de dessous notre tente avec précipitation ; ceux mêmes que d’énormes blessures aux membres inférieurs retenaient continuellement couchés depuis plusieurs jours, se traînèrent sur le derrière du radeau pour jouir de là vue de ce navire qui venait nous arracher à une mort certaine. Nous nous embrassions tous, avec des transports qui tenaient beaucoup de la folie, et des larmes de joie sillonnaient nos joues desséchées par les plus cruelles privations. Chacun se saisit de mouchoirs ou de différentes pièces de linge pour faire des signaux au brick qui s’approchait rapidement. Quelques autres prosternés remerciaient avec ferveur la Providence qui nous rendait si miraculeusement à la vie. Notre joie redoubla lorsque nous aperçûmes au haut de son mât de misaine un grand pavillon blanc ; nous nous écriâmes : C’est donc à des Français que nous allons devoir notre salut. » Nous reconnûmes presqu’aussitôt le brick l’Argus ; il était alors à deux portées de fusil. Nous nous impatientions vivement de ne pas lui voir carguer ses voiles ; il les amena enfin, et de nouveaux cris de joie s’élevèrent de notre radeau. L’Argus vint