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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

chacun imaginait mille moyens d’alléger ses souffrances, Exténués par les plus cruelles privations, la moindre sensation agréable était pour nous un bonheur suprême ; aussi recherchait-on avec avidité un petit flacon vide que possédait un de nous, et dans lequel il y avait eu autrefois de l’essence de roses. Dès qu’on pouvait le saisir on respirait avec délices l’odeur qu’il exhalait, et qui portait dans nos sens les impressions les plus douces. Plusieurs de nous, au moyen de petits vases de fer-blanc, conservaient leur ration de vin, et pompaient dans le gobelet avec un tuyau de plume. Cette manière de prendre notre vin nous faisait un grand bien et diminuait beaucoup plus notre soif que si nous l’eussions bu de suite. L’odeur seule de cette liqueur nous était extrêmement agréable. M. Savigny a observé que beaucoup de nous, après en avoir pris leur faible portion, tombaient dans un état voisin de l’ivresse, et que toujours, après les distributions, il régnait parmi nous beaucoup de mésintelligence.

En voici un seul exemple entre plusieurs que nous aurions pu citer. Le dixième jour que nous passâmes sur le radeau, à la suite d’une distribution, il prit à MM. Clairet, Coudin, Charlot, et un ou deux de nos matelots, la bizarre fantaisie de vouloir se détruire, mais de s’enivrer auparavant avec le reste de notre barrique. En vain le capitaine Dupont, secondé de MM. Lavillette, Savigny, Lheureux, et de tous les autres, leur opposaient les plus vives représentations