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CHAPITRE VI.

en défendant la France. Si du moins, disaient-ils, il nous eût été possible de nous mesurer encore une fois avec les ennemis de notre indépendance et de notre liberté ! D’autres trouvaient quelques consolations dans la mort qui nous attendait, en ce que nous n’aurions plus à gémir sous le poids honteux qui pèse sur la patrie. Ainsi se passèrent les dernières journées de notre séjour sur le radeau. Notre temps fut presque tout employé à parler de notre malheureux pays ; tous nos souhaits, nos derniers vœux étaient pour le bonheur de la France.

Les premiers jours de notre abandon, pendant les nuits, qui sont très-fraîches dans ces pays, nous supportions assez facilement l’immersion ; mais durant les dernières que nous passâmes sur notre machine, toutes les fois qu’une vague déferlait sur nous, elle produisait une impression très-douloureuse et nous arrachait des cris plaintifs ; en sorte que chacun employait tous les moyens pour l’éviter. Les uns élevaient leur tête sur des morceaux de bois, et faisaient avec ce qu’ils rencontraient une sorte de petit parapet où venait se briser la vague ; les autres se mettaient à l’abri derrière deux tonneaux vides qui se trouvaient placés l’un en long et l’autre en travers. Mais ces moyens étaient souvent insuffisans ; il fallait que la mer fût bien belle pour qu’elle ne vint pas briser jusques sur nous.

Une soif ardente, redoublée dans le jour par les rayons d’un soleil brûlant, nous dévorait ; elle fut telle, que nos lèvres desséchées s’abreuvaient avec