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CHAPITRE VI.

avions pu ramasser, avaient été étendus dessus et servaient à se rendre un peu moins dur. Cet appareil empêchait aussi la mer de passer avec autant de facilité par les intervalles qui étaient entre les différentes pièces du radeau ; mais la lame embarquait par le travers et nous recouvrait quelquefois entièrement.

Ce fut sur ce nouveau théâtre que nous nous décidâmes à attendre la mort d’une manière digne de Français, et avec une entière résignation. Les plus adroits d’entre nous, pour nous distraire et pour nous faire passer le temps avec plus de rapidité, mettaient leurs camarades à même de nous raconter leurs triomphes passés, et parfois ils leur faisaient établir des comparaisons entre les traverses qu’ils avaient essuyées dans leurs campagnes glorieuses, et les peines que nous souffrions sur notre radeau. Voici ce que nous disait à ce sujet le sergent d’artillerie Lavillette : « J’ai éprouvé dans les différentes campagnes de mer que j’ai faites, toutes les fatigues, toutes les privations et tous les dangers qu’il est possible de courir en mer : mais aucun de mes maux passés n’est comparable aux douleurs et aux privations extrêmes que nous supportons ici. Dans mes dernières campagnes de 1813 et 1814, en Allemagne et en France, j’ai partagé toutes les fatigues que nous occasionnèrent tour à tour, et les victoires et les retraites. J’étais aux glorieuses journées de Lutzen, de Bautzen, de Dresde, de Leipsick, d’Hanau, de Montmirail, de Champ-Aubert, de Montereau, etc., etc. Oui, continua-t-il, tout ce que nous