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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

nourrir ceux qui, la veille, avaient serré ses mains tremblantes, en lui jurant une amitié éternelle. Cette journée fut belle ; nos esprits, avides de sensations plus douces, se mirent en harmonie avec l’aspect de la nature et du ciel, et s’ouvrirent a un nouveau rayon d’espoir. Le soir, vers les quatre heures, un événement inattendu nous apporta quelques consolations ; un banc de poissons volans passa sous le radeau, et comme les extrémités laissaient entre les pièces qui le formaient une infinité de vides, les poissons s’y engagèrent en très-grande quantité. Nous nous précipitâmes sur eux, et nous fîmes une capture assez considérable ; nous en primes environ deux cents et les dépeçâmes dans un tonneau vide[1] ; à mesure que nous les attrapions, on leur ouvrait le ventre pour en tirer ce qu’on nomme la laite. Ce mêt nous parut délicieux ; mais il en faudrait un millier pour un seul homme. Notre premier mouvement fut d’adresser à Dieu de nouvelles actions de grâces pour ce bienfait inespéré.

Une once de poudre à canon trouvée le matin avait été séchée au soleil, pendant la journée qui fut fort belle ; un briquet, des pierres à fusil et de l’amadou faisaient aussi partie du même paquet. Après des peines infinies, nous parvînmes à embraser des morceaux de linge sec. Nous fîmes une large ouverture sur l’un des

  1. Ces poissons sont très-petits ; le plus gros n’égale en volume qu’on petit hareng.