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CHAPITRE V.

vivement, et nous poussâmes des cris de rage et de vengeance. M. Corréard se rappela alors d’en avoir vu une entre les mains d’un des chefs d’atelier des ouvriers qui étaient sous ses ordres ; il fit appeler cet homme qui lui répondit : « Oui, oui, je l’ai avec moi » . Cette nouvelle nous transporta de joie, et nous crûmes que notre salut dépendait de cette faible ressource. Ce petit compas était dans les mêmes dimensions qu’un écu de six livres et très-peu exact. Celui qui n’a pas été en butte à des evénemens où son existence soit fortement menacée, ne peut que faiblement s’imaginer quel prix on attache alors aux choses les plus simples, avec quelle avidité on saisit les moindres moyens susceptibles d’adoucir la rigueur du sort contre lequel on lutte. Ce compas fut remis entre les mains du commandant du radeau ; mais un accident nous en priva pour toujours : il tomba, et disparut entre les pièces de bois qui composaient notre machine. Nous l’avions gardé quelques heures seulement ; nous n’eûmes plus alors de guide que le lever et le coucher du soleil.

Nous étions tous partis du bord sans avoir pris aucune nourriture ; la faim commença à se faire sentir impérieusement. Nous mêlâmes notre pâte de biscuit mariné avec un peu de vin, et nous la distribuâmes ainsi préparée. Tel fut notre premier repas et le meilleur que nous fîmes pendant tout notre séjour sur le radeau.

Un ordre par numéros fut établi pour la distribu-