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POLYEUCTE.

Soldats, exécutez l’ordre que j’ai donné.

PAULINE.

Où le conduisez-vous ?

FÉLIX.

Où le conduisez-vous ?À la mort.

POLYEUCTE.

Où le conduisez-vous ?À la mort.À la gloire.
Chère Pauline, adieu ; conservez ma mémoire.

PAULINE.

Je te suivrai partout, et mourrai si tu meurs.

POLYEUCTE.

Ne suivez point mes pas, ou quittez vos erreurs.

FÉLIX.

Qu’on l’ôte de mes yeux, et que l’on m’obéisse.
Puisqu’il aime à périr, je consens qu’il périsse.


Scène IV.

FÉLIX, ALBIN.
FÉLIX.

Je me fais violence, Albin, mais je l’ai dû ;
Ma bonté naturelle aisément m’eût perdu.
Que la rage du peuple à présent se déploie,
Que Sévère en fureur tonne, éclate, foudroie,
M’étant fait cet effort, j’ai fait ma sûreté.
Mais n’es-tu point surpris de cette dureté ?
Vois-tu comme le sien des cœurs impénétrables,
Ou des impiétés à ce point exécrables ?
Du moins j’ai satisfait mon esprit affligé :
Pour amollir son cœur je n’ai rien négligé ;
J’ai feint même à tes yeux des lâchetés extrêmes :
Et certes, sans l’horreur de ses derniers blasphèmes,
Qui m’ont rempli soudain de colère et d’effroi,
J’aurais eu de la peine à triompher de moi.

ALBIN.

Vous maudirez peut-être un jour cette victoire,
Qui tient je ne sais quoi d’une action trop noire,
Indigne de Félix, indigne d’un Romain,
Répandant votre sang par votre propre main.