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Le plus zélé déplaît, le plus utile gêne,
710Et l’excès de son poids fait pencher vers la haine.
Suréna de l’exil lui seul m’a rappelé ;
Il m’a rendu lui seul ce qu’on m’avoit volé,
Mon sceptre[1] ; de Crassus il vient de me défaire :
Pour faire autant pour lui, quel don puis-je lui faire ?
715Lui partager mon trône ? Il seroit tout à lui,
S’il n’avoit mieux aimé n’en être que l’appui.
Quand j’en pleurois la perte, il forçoit des murailles ;
Quand j’invoquois mes dieux, il gagnoit des batailles.
J’en frémis, j’en rougis, je m’en indigne, et crains
720Qu’il n’ose quelque jour s’en payer par ses mains ;
Et dans tout ce qu’il a de nom et de fortune,
sa fortune me pèse, et son nom m’importune.
Qu’un monarque est heureux quand parmi ses sujets
Ses yeux n’ont point à voir de plus nobles objets,
725Qu’au-dessus de sa gloire il n’y connoît personne,
Et qu’il est le plus digne enfin de sa couronne !

SILLACE.

Seigneur, pour vous tirer de ces perplexités,
La saine politique a deux extrémités.
Quoi qu’ait fait Suréna, quoi qu’il en faille attendre,
730Ou faites-le périr, ou faites-en un gendre.
Puissant par sa fortune, et plus par son emploi,
S’il devient par l’hymen l’appui d’un autre roi,
Si dans les différends que le ciel vous peut faire,
Une femme l’entraîne au parti de son père,
735Que vous servira lors, Seigneur, d’en murmurer ?
Il faut, il faut le perdre, ou vous en assurer :
Il n’est point de milieu.

ORODE.

Il n’est point de milieu.Ma pensée est la vôtre ;

  1. Voyez ci-dessus, p. 462, note 6.