Mais achevons, de grâce, et ne déguisons rien.
Savez-vous mon secret ?
Je sais celui d’un frère.
Vous savez donc le mien. Fait-il ce qu’il doit faire ?
Me hait-il ? et son cœur, justement irrité,
Me rend-il sans regret ce que j’ai mérité ?
Oui, Madame, il vous rend tout ce qu’une grande âme
Doit au plus grand mérite et de zèle et de flamme.
Il m’aimeroit encor ?
Il souffre sans murmure ; et j’ai beau vous blâmer,
Lui-même il vous défend, vous excuse sans cesse.
« Elle est fille, et de plus, dit-il, elle est princesse :
Je sais les droits d’un père, et connois ceux d’un roi ;
Je sais de ses devoirs l’indispensable loi ;
Je sais quel rude joug, dès sa plus tendre enfance,
Imposent à ses vœux son rang et sa naissance :
Son cœur n’est pas exempt d’aimer ni de haïr[1] ;
Mais qu’il aime ou haïsse, il lui faut obéir.
Elle m’a tout donné ce qui dépendoit d’elle,
Et ma reconnoissance en doit être éternelle. »
Ma haine pour le prince et mes feux pour l’amant ;
Finissons-le, Madame ; en ce malheur extrême,
Plus je hais, plus je souffre, et souffre autant que j’aime.
- ↑ On lit : « d’aimer ou de haïr, » dans l’édition de 1692. Voltaire (1764) a gardé ni.