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ORMÈNE.

Votre douleur, Madame, est trop ingénieuse.

EURYDICE.

110Quand on a commencé de se voir malheureuse,
Rien ne s’offre à nos yeux qui ne fasse trembler :
La plus fausse apparence a droit de nous troubler ;
Et tout ce qu’on prévoit, tout ce qu’on s’imagine,
Forme un nouveau poison pour une âme chagrine.

ORMÈNE.

115En ces nouveaux poisons trouvez-vous tant d’appas
Qu’il en faille faire un d’un hymen qui n’est pas ?

EURYDICE.

La princesse est mandée, elle vient, elle est belle ;
Un vainqueur des Romains n’est que trop digne d’elle.
S’il la voit, s’il lui parle, et si le Roi le veut…
120J’en dis trop ; et déjà tout mon cœur qui s’émeut…

ORMÈNE.

À soulager vos maux appliquez même étude
Qu’à prendre un vain soupçon pour une certitude :
Songez par où l’aigreur s’en pourroit adoucir.

EURYDICE.

J’y fais ce que je puis, et n’y puis réussir.
125N’osant voir Suréna, qui règne en ma pensée,
Et qui me croit peut-être une âme intéressée,
Tu vois quelle amitié j’ai faite avec sa sœur :
Je crois le voir en elle, et c’est quelque douceur,
Mais légère, mais foible, et qui me gêne l’âme
130Par l’inutile soin de lui cacher ma flamme.
Elle la sait sans doute, et l’air dont elle agit
M’en demande un aveu dont mon devoir rougit :
Ce frère l’aime trop pour s’être caché d’elle.
N’en use pas de même, et sois-moi plus fidèle ;
135Il suffit qu’avec toi j’amuse mon ennui.
Toutefois tu n’as rien à me dire de lui