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DOMITIAN.

1355Si vous en aviez tant, vous auriez peu de peine
À rendre Domitie à sa première chaîne.

TITE.

Ah ! s’il ne s’agissoit que de vous la céder,
Vous auriez peu de peine à me persuader ;
Et pour vous rendre heureux, me rendre à Bérénice
1360Ne seroit pas vous faire un fort grand sacrifice.
Il y va de bien plus.

DOMITIAN.

Il y va de bien plus.De quoi, Seigneur ?

TITE.

Il y va de bien plus.De quoi, Seigneur ?De tout.
Il y va d’épouser sa haine jusqu’au bout,
D’en suivre la furie, et d’être le ministre
De ce qu’un noir dépit conçoit de plus sinistre ;
1365Et peut-être l’aigreur de ces inimitiés
Voudra que je vous perde ou que vous me perdiez :
Voilà ce qui peut suivre un si doux hyménée.
Vous voyez dans l’orgueil Domitie obstinée ;
Quand pour moi cet orgueil ose vous dédaigner,
1370Elle ne m’aime pas : elle cherche à régner,
Avec vous, avec moi, n’importe la manière.
Tout plairoit, à ce prix, à son humeur altière ;
Tout seroit digne d’elle ; et le nom d’empereur
À mon assassin même attacheroit son cœur.

DOMITIAN.

1375Pouvez-vous mieux choisir un frein à sa colère,
Seigneur, que de la mettre entre les mains d’un frère ?

TITE.

Non : je ne puis la mettre en de plus sûres mains[1] ;
Mais plus vous m’êtes cher, Prince, et plus je vous crains :

  1. L'edition de 1682 donne seule : « en des plus sûres mains. »