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Scène II.

DOMITIAN, BÉRÉNICE, PHILON, ALBIN.
BÉRÉNICE.

1135Auriez-vous au sénat, Seigneur, assez de brigue
Pour combattre et confondre une insolente ligue ?
S’il ne s’assemble pas exprès pour m’exiler,
J’ai quelques envieux qui pourront en parler.
L’exil m’importe peu, j’y suis accoutumée ;
1140Mais vous perdez l’objet dont votre âme est charmée :
L’audacieux décret de mon bannissement
Met votre Domitie aux bras d’un autre amant ;
Et vous pouvez[1] juger que s’il faut qu’on m’exile,
Sa conquête pour vous n’en est pas plus facile.
Voyez si votre amour se veut laisser ravir
1145Cet unique secours qui pourroit le servir[2].

DOMITIAN.

On en pourra parler, Madame, et mon ingrate
En a déjà conçu quelque espoir qui la flatte ;
Mais je puis dire aussi que le rang que je tiens
1150M’a fait assez d’amis pour opposer aux siens ;
Et que si dès l’abord ils ne les font pas taire,
Ils rompront le grand coup qui seul nous peut déplaire.
Non que tout cet espoir ne coure grand hasard,
Si votre amant volage y prend la moindre part :
1155On l’aime ; et si son ordre à nos amis s’oppose,
Leur plus fidèle ardeur osera peu de chose.

BÉRÉNICE.

Ah ! Prince, je mourrai de honte et de douleur,

  1. Nous avons adopté la leçon de l’édition de 1692, qui est aussi celle de Voltaire. Elle nous a paru préférable au texte des éditions antérieures : « vous pourrez. »
  2. Var. Cet unique secours qui pouvoit le servir. (1671 et 79)