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Lui seul allume, éteint, ou change nos desirs :
Les objets de nos vœux le sont de nos plaisirs.
Vous-même, qui brûlez d’une ardeur si fidèle,
Aimez-vous Domitie, ou vos plaisirs en elle ?
285Et quand vous aspirez à des liens si doux,
Est-ce pour l’amour d’elle, ou pour l’amour de vous ?
De sa possession l’aimable et chère idée
Tient vos sens enchantés et votre âme obsédée ;
Mais si vous conceviez quelques destins meilleurs,
290Vous porteriez bientôt toute cette âme ailleurs.
Sa conquête est pour vous le comble des délices ;
Vous ne vous figurez ailleurs que des supplices :
C’est par là qu’elle seule a droit de vous charmer ;
Et vous n’aimez que vous, quand vous croyez l’aimer[1].

DOMITIAN.

295En l’état où je suis, les maux dont je soupire
M’ôtent la liberté de te rien contredire ;
Cherchons-en le remède, au lieu de raisonner
Sur l’amour où le ciel se plaît à m’obstiner.
N’est-il point de secret, n’est-il point d’artifice ?…

ALBIN.

300Oui, Seigneur, il en est. Rappelons Bérénice ;
Sous le nom de César pratiquons son retour,
Qui retarde l’hymen et suspende l’amour.

DOMITIAN.

Que je verrois, Albin, ma volage punie,
Si de ces grands apprêts pour la cérémonie,
305Que depuis si longtemps on dresse à si grand bruit,

  1. Ce morceau, souvent reproché à Corneille, pourrait bien lui avoir été inspiré par le livre des Maximes de la Rochefoucauld, dont la première édition a paru en 1665, cinq ans avant Tite et Bérénice, et qui faisait encore le sujet de tous les entretiens. La maxime 262 commence ainsi : « Il n’y a point de passion où l’amour de soi-même règne si puissamment que dans l’amour. »